vendredi 25 septembre 2015

Histoire des vulnérabilités environnementales

Vulnérabilités environnementales : perspectives historiques


Appel à contributions

Nous nous proposons, dans ce numéro consacré à l’histoire environnementale, de réunir des contributions donnant à la notion de vulnérabilité une épaisseur historique qui lui fait trop souvent défaut. Il peut bien sûr sembler problématique d’envisager la « vulnérabilité avant la vulnérabilité », c’est-à-dire de discuter de cette notion pour des situations environnementales qui précèdent l’élaboration de ce concept. Mais si le mot peut manquer, les situations qui lui correspondent, les tentatives de réponses et les réflexions n’en ont pas moins existé depuis longtemps. C’est pourquoi toutes les périodes historiques seront ici considérées.


Argumentaire
« La plupart de nos maux physiques sont encore notre ouvrage. Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez, par exemple, que la nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement logés, le dégât eût été beaucoup moindre, et peut-être nul. […] Vous auriez voulu, et qui ne l’eût pas voulu ! que le tremblement se fût fait au fond d’un désert plutôt qu’à Lisbonne. Peut-on douter qu’il ne s’en forme aussi dans les déserts ? mais nous n’en parlons point, parce qu’ils ne font aucun mal aux Messieurs des Villes[1]. »

Dans cette lettre à Voltaire sur le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, Rousseau réfute le fatalisme de ses adversaires, qui attribuaient à Dieu des volontés, parfois destructrices, dont l’humanité devait bien s’accommoder. Il met au contraire en avant les origines partiellement humaines des catastrophes : celles-ci n’existent que par leurs effets sur l’homme, qui se met en position parfois d’être affecté par les soubresauts de la nature[2]. Il perçoit ainsi justement la manière dont les sociétés humaines créent leur propre vulnérabilité.

La vulnérabilité peut se définir comme la susceptibilité pour une société d’être endommagée par un changement, brutal ou non, de son environnement. Ces changements peuvent prendre des formes multiples. Il peut s’agir de catastrophes, naturelles ou liées aux activités humaines comme les accidents industriels ou nucléaires, d’effondrements de systèmes de sécurité, de guerres, révolutions ou destructions planifiées, etc. Mais il peut s’agir aussi de modifications moins immédiates, à temporalité longue ou à rythme irrégulier, telles que les pollutions, les changements de climat ou de pluviométrie, les évolutions de la faune ou de la flore.

Ces prédispositions d’une société, dans son organisation ou dans la gestion de l'environnement, à être mal préparée à supporter un événement perturbateur, sont généralement évaluées à l’aune d’une approche en terme de risques, objectivée en les définissant comme la rencontre entre l’aléa et la vulnérabilité des sociétés humaines.

Ainsi, l’explication des vulnérabilités réside dans une combinaison de facteurs liés aux conditions naturelles, aux aménagements et au contexte social : le regard des sciences humaines est dès lors indispensable pour mieux les comprendre. La géographie[3], la sociologie[4] par exemple, se sont emparées de cette notion, mais l’histoire beaucoup moins, ou alors à propos d'autres problématiques[5]. C’est pourquoi nous nous proposons, dans ce numéro consacré à l’histoire environnementale francophone, de réunir des contributions donnant à la notion de vulnérabilité une épaisseur historique qui lui fait trop souvent défaut. Il peut bien sûr sembler problématique d’envisager la « vulnérabilité avant la vulnérabilité », c’est-à-dire de discuter de cette notion pour des situations environnementales qui précèdent l’élaboration de ce concept. Mais si le mot peut manquer, les situations qui lui correspondent, les tentatives de réponses et les réflexions n’en ont pas moins existé depuis longtemps. Que l’on songe au roseau pensant de Pascal : si faible que soit l’homme face à « l’univers entier [qui] s’arme pour l’écraser », il n’en reste pas moins « plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien[6] ». À l’histoire, dès lors, de proposer des analyses fines de situations particulières permettant de mieux cerner cette notion et ses enjeux. C’est pourquoi toutes les périodes historiques seront ici considérées.

Toutes les dimensions de la démarche historique peuvent en effet être mobilisées pour traiter de cette question et décortiquer les processus qui construisent sa pertinence ou son refus, ses usages (éventuellement contestés), ses applications. On accueillera, dans cette optique, des travaux centrés sur les processus économiques et techniques qui peuvent fabriquer ou, parfois, atténuer la vulnérabilité.

La dimension politique est tout aussi importante, qui interroge la capacité des acteurs à faire entendre leurs conceptions et qui conditionne la plus ou moins rapide émergence d'une question comme problème public. De même, la volonté et l’aptitude des autorités à offrir ou non des solutions à la vulnérabilité, les pratiques de « gouvernance » de la vulnérabilité tout comme les processus de légitimation qui s’y jouent, doivent être pris en considération.

La notion fait aussi jouer des facteurs culturels, puisqu’elle dépend des modes de représentation de l’aléa et du risque. Comment se fait-il par exemple que l’on construise dans des zones à risque (les flancs du Vésuve ou les couloirs d’avalanche) alors que dans le passé on évitait de le faire ? Comment, en outre, se forge cette notion de vulnérabilité, par qui est-elle utilisée ? Quels « experts » la construisent, s’arrogent une légitimité à en parler et à proposer des modes pour la « gérer » ? On pourrait même, dans une perspective d’histoire des émotions, étudier ce qui façonne ou révèle un sentiment de vulnérabilité face à l’environnement.

La dimension sociale est ainsi essentielle, car la vulnérabilité est différentielle et peut résulter des inégalités sociales et environnementales. Existe-t-il des individus ou des groupes plus vulnérables que d’autres et pourquoi ? L’âge, le genre, le groupe social sont-ils des critères pertinents pour distinguer ces degrés d’exposition au risque ? Quels sont les « seuils de tolérance », différenciés socialement ou géographiquement, face au risque ? Plus généralement, certaines sociétés ou groupes sociaux se sont-ils révélés plus vulnérables que d’autres dans des conditions environnementales similaires ? Inversement, certains ont-ils su résister ou s’adapter à des environnements particulièrement difficiles ? Quelles réponses apportent les autorités et collectivités gestionnaires des territoires ?

Si toutes les dimensions de la réalité historique sont ainsi à considérer, il en est de même pour les diverses échelles spatiales. On pourra ainsi envisager les vulnérabilités au niveau local, comme régional ou national : le cas de l’exposition aux pollutions, atmosphériques ou aquatiques, est à ce titre particulièrement éclairant. En effet, aussi bien leur perception que les actions menées contre elles, font jouer justement, au fil du temps, ces différents niveaux. Bien sûr, selon les périodes, certaines échelles d’investigation sont plus pertinentes que d’autres. On pourra par exemple questionner l’idée d’une vulnérabilité environnementale globale, liée certes au changement climatique, mais aussi plus généralement à l’action prédatrice des sociétés humaines à l’échelle de la planète, particulièrement depuis la Seconde Guerre mondiale, et aux concepts discutés à propos de cette échelle « macro » comme celui d’anthropocène.

De même, différentes temporalités sont sans doute à considérer. Il peut exister des vulnérabilités courtes, c’est-à-dire des périodes brèves de fragilité environnementale : quelles sont alors les stratégies réussies d’adaptation ? Inversement, existe-t-il des vulnérabilités longues, sur des décennies, voire des siècles ? Sont-elles l’effet d’un environnement particulièrement difficile ? Ou peut-on y trouver des raisons sociales, économiques, culturelles ? Le concept même de vulnérabilité ne doit-il pas être discuté et remis en cause dans ce cas ? Enfin, il convient de prendre en compte la temporalité même d’une vulnérabilité en la considérant comme un processus, dont l’apparition ou la disparition constituent sans doute des clés de compréhension essentielles. C’est à ce titre certainement qu’il faut enfin analyser les réponses à la vulnérabilité.

La notion de résilience, qui semble sortir de la passivité associée à celle de vulnérabilité, et qui est au cœur des réflexions de décideurs, d'aménageurs et de chercheurs depuis quelques années, est ici centrale, en lien avec les structures sociales, économiques, politiques et les schèmes culturels des communautés étudiées. La sophistication des sociétés, comme le développement de solutions technologiques pour les besoins sociaux ou économiques, est-elle un élément supplémentaire de vulnérabilité ? La constitution de réseaux, notamment énergétiques, accroît ainsi la vulnérabilité des villes, car la moindre avarie peut provoquer de lourdes perturbations, comme des black-out. Sont en jeu ici les acteurs – lobby, grands corps constitués, notamment des ingénieurs, responsables politiques – tout autant que les intérêts financiers de la gestion des risques. La question d’une forte contrainte des origines (path dependency) est en ce sens centrale : comment s’extraire d’une configuration sociale, économique, politique ou autre qui favorise la vulnérabilité ? Le progrès technique est-il une réponse ou un facteur de vulnérabilité supplémentaire ?
Notes
[1] Rousseau, Lettre à Voltaire sur la Providence, 18 août 1756.

[2] François Walter, Catastrophes. Une histoire culturelle, Paris, Seuil, 2008.

[3] Voir par exemple Responsabilité et Environnement, n° 43, juillet 2006, « Catastrophes et Territoires : les vulnérabilités », et notamment l’article de Yvette Veyret et Magalie Reghezza, « Vulnérabilité et risques. L’approche récente de la vulnérabilité », p. 9-13 ; Sophie Baudet-Michel et Christina Aschan-Leygonie, « Risque, Vulnérabilité, Résilience : comment les définir dans le cadre d’une étude géographique sur la santé et la pollution atmosphérique en milieu urbain ? », dans Anne Peltier, Sylvia Becerra, Vulnérabilités sociétales, risques et environnement, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 60-68.

[4] Voir par exemple Sylvia Becerra, « Vulnérabilité, risques et environnement : l’itinéraire chaotique d’un paradigme sociologique contemporain », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 12 Numéro 1 | mai 2012, mis en ligne le 25 juin 2012, consulté le 24 mai 2015. URL : http://vertigo.revues.org/11988 ; DOI : 10.4000/vertigo.11988

[5] Axelle Brodiez, Isabelle von Bueltzingsloewen, Benoît Eyraud, Christian Laval et Bertrand Ravon (dir.), Vulnérabilités sanitaires et sociales. De l'histoire à la sociologie, Rennes, PUR, collection « Des Sociétés », 2014 ; David Niget et Martin Petitclerc, Pour une histoire du risque. Québec, France, Belgique, Rennes, Presses de l’Université de Rennes, 2012.

[6] Pascal, Pensées, 347.
Nature des propositions et calendrier
Les propositions peuvent émaner de chercheurs et de praticiens, avec naturellement la possibilité de textes co-signés. Ils croiseront en tous les cas un axe de réflexion privilégié (analyse des situations d’in/acceptabilité, généalogie, dispositifs, usages savants) avec l’un et/ou l’autre des mondes de la pratique identifiés.
Échéancier
15 octobre 2015 : date limite pour l’envoi d’une proposition contenant un titre et un résumé d’un maximum de 500 mots ;
15 novembre 2015 : avis aux auteurs quant à l’acceptation ou refus de leur proposition ;
1 mars 2016 : date limite pour l’envoi d’un texte complet respectant les conditions éditoriales précisées sur le site de la revue à l’adresse suivante : http://vertigo.revues.org ;
Évaluation du texte par un comité de lecture - réponse définitive de la revue en mai et juin 2016 avec grille d'évaluation des évaluateurs ;
juillet 2016 : réception des textes révisés ;
septembre 2016 : mise en ligne du numéro.

Sauf pour les dates du 15 octobre et du 15 novembre, l’échéancier est fourni à titre indicatif.
Soumission des propositions et des textes


Les propositions et manuscrits (avec résumé, texte complet, figures, tables et bibliographie) doivent être soumis par courrier électronique à l’adresse suivante : eric.duchemin@editionsvertigo.org. La soumission doit être bien identifiée au nom du dossier : « Vulnérabilités environnementales : perspectives historiques ».

Pour soumettre un texte, prière de consulter les politiques de publication de la revue disponibles à l’adresse suivante : http://vertigo.revues.org


Lors de la soumission, les auteurs doivent fournir leur nom et les coordonnées de trois réviseurs potentiels pour leur article. La revue se réserve le droit de choisir ou non les réviseurs proposés.

Vous pouvez aussi nous faire parvenir en tout temps des propositions de textes pour les différentes sections de la revue. La revue accepte la soumission de textes scientifiques en tout temps.
Coordination du numéro - rédacteurs associés
Michèle Dagenais (Université de Montréal),
Stéphane Frioux, (Université Lumière Lyon 2),
Charles-François Mathis, (Université Bordeaux-Montaigne)
François Walter (Université de Genève)
Éric Duchemin ([VertigO] / Université du Québec à Montréal, Canada).
Rédaction de la revue
Éric Duchemin, Ph.D.
Co-directeur de la publication - Rédacteur en Chef

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